ATLAS LINGÜÍSTICO (Y ETNOGRÁFICO) DE CASTILLA - LA MANCHA

 

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L'ALECMAN PARMI LES ATLAS LINGUISTIQUES ESPAGNOLES

 

Pilar García Mouton y Francisco Moreno Fernández

 

Publicado en Géolinguistique, 5 (1993), p.. 217-232.

Ce travail a pour but de présenter l'Atlas Linguistique et etnographique de Castilla-La Mancha ainsi que de faire la caractérisation sommaire d'une aire qui occupe une grande partie de la zone centrale de la Péninsule ibérique. La région comprend presque tout le territoire connu comme Castilla la Nueva, dont on exclut la province de Madrid ; on y ajoute, par contre, la province d'Albacete, qui appartenait autrefois à la région de Murcie (sud-est de la Péninsule). Depuis 1978, ce territoire, désormais « Communauté autonome», a été dénommé Castilla-La Mancha, parce qu'il est situé dans une zone de tradition castillane et qu'il a comme noyau la région naturelle de La Mancha (voir carte 1).
Nous essaierons de situer l'ALeCMan parmi les atlas linguistiques espagnols et d'expliquer quel est l'état actuel de la géographie linguistique espagnole, de quelle façon nous sommes les continuateurs de la tâche réalisée dans les atlas précédents et quelles nouveautés méthodologiques nous y introduisons. Pour ce faire, nous nous servirons de certains matériaux recueillis pour l'ALeCMan et nous les mettrons en rapport avec les données publiées dans les atlas espagnols des territoires environnants: l'Atlas Lingüístico y Etnográfico de Andalucía (ALEA) (1) et l'Atlas Lingüístico y Etnográfico de Aragón, Navarra y Rioja (ALEANR) (2).


Géographie linguistique espagnole

L'Espagne a une expérience de plusieurs décennies en ce qui concerne la géographie linguistique. L'ALeCMan se situe en droite ligne dans la tradition géolinguistique espagnole et européenne, tout en restant ouverte aux nouvelles exigences de cette discipline. Le travail que nous sommes en train de réaliser dans la région de Castilla-La Mancha ne saurait être compris si l'on ne tient pas compte des atlas déjà publiés (ou en voie de publication) sur le domaine espagnol. C'est pour cela que la présentation des caractéristiques de l'ALeCMan nécessite une brève description des atlas précédents.
La géographie linguistique espagnole se développe avec quelque retard par rapport à celle d'autres pays européens. Elle commence avec la publication de certains travaux qui, dans les grandes lignes, suivent les directives tracées par Gilliéron dans son Atlas Linguistique de la France. Ces travaux sont l'Atlas Lingüístic de Catalunya d'Antoni Griera (1923-1929), et l'Atlas Lingüístico de la Península Ibérica (1962), dirigé par Tomás Navarro Tomás. Certaines des irrégularités méthodologiques que l'on constate dans ces deux atlas sont dues au fait de l'interruption des recherches pendant la guerre civile espagnole. Au moment de reprendre les travaux, la méthode mise en œuvre dans ces atlas était devenue désuète.
A partir des années 50, la recherche s'accroît énormément. En 1961 paraît le premier volume d'une série d'atlas régionaux dirigés par Manuel Alvar. Ces derniers se caractérisent par le fait qu'ils incluent les innovations présentées par Jaberg et Jud dans leur Sprach- und Sachatlas Italiens und der Südschweiz et qu'ils assument le plan de base du Nouvel Atlas Linguistique de la France. C'est ainsi que la géographie linguistique espagnole commence sa deuxième étape, où l'on peut compter l'Atlas Lingüístico y Etnográfico de Andalucía, l'Atlas Lingüístico y Etnográfico de las Islas Canarias (3), l'Atlas Lingüístico y Etnográfico de Aragón, Navarra y Rioja et l'Atlas Lingüístico y Etnográfico de Santander (sous presse), ce dernier étant d'un domaine géographique minimal.
Ces atlas régionaux seront compris à l'avenir dans un atlas supranational, également dirigé par Manuel Alvar: l'Atlas Lingüístico de España y Portugal (4). A l'échelle nationale cet ouvrage est réalisé en coordination avec les travaux d'autres atlas linguistiques européens (Atlas Linguarum Europae, Atlas Linguistique Roman) et a servi à promovoir, depuis le début, la réalisation d'un Atlas Lingüístico Galego (5), dont le premier volume a déjà été publié.
Il faudrait ajouter à toutes ces entreprises géolinguistiques de l'Espagne deux atlas de domaine minimal qui ont apparu en appendice à l'œuvre de Griera (Atlas Lingüístic d'Andorra, Atlas Lingüístic de la Vall d'Aran), un atlas du domaine catalan pour lequel on a déjà recueilli les données (Atlas Lingüístic del Domini Català (6)) et un atlas de nature monographique (Léxico de los marineros peninsulares (7)), coordonné à une entreprise internationale (Atlas Linguistique Méditerranéen).

En résumé, nous pourrions remarquer plusieurs aspects de l'activité espagnole dans le terrain de la géographie linguistique. D'abord, son apparition tardive dans le panorama européen a été déterminante, car il en a résulté un développement peu synchronisé aux travaux d'autres pays. Par conséquent, nous n'avons pas encore d'atlas complet de l'Espagne. Pour le moment, c'est l'élaboration de petits ouvrages (d'un domaine entier ou d'une partie d'un domaine) qui l'a emporté ; parmi ceux-ci, il convient de signaler les atlas régionaux de l'Espagnol qui suivent les normes du NALF. En dernier lieu, il faut remarquer la collaboration espagnole dans les entreprises de portée internationale ainsi que la préparation d'un atlas international de macro-système qui permettra de réunir des matériaux comparables de tous les pays hispanophones d'Amérique (Atlas lingüístico de Hispanoamérica (8)).


L'ALeCMan et les atlas régionaux

L’ALeCMan est un atlas de domaine géographique limité, de caractère régional, qui étudie une partie du domaine linguistique de l'espagnol. Il s'agit d'un atlas de troisième génération, dans lequel se trouvent aussi bien les idées de l'AIS que les principes du NALF. Là aussi, l'ALeCMan suit minutieusement les caractéristiques des atlas régionaux de l'espagnol dirigés par Manuel Alvar, puisqu'il prétend être coordonné à ces derniers.
Au début, nous avions pensé faire un atlas limité à la région naturelle de La Mancha, formée par les provinces de Ciudad Real, Tolède, Cuenca et Albacete. Cependant, les avantages de réaliser les enquêtes sur tout le territoire de la Communauté autonome de Castilla-La Mancha s'imposèrent bientôt : il est plus facile d'obtenir le financement pour l'étude d'une entité politique et administrative complète ; d'autre part, l'œuvre couvre un large territoire, peu connu du point de vue linguistique, qui unit l'Aragon à l'Andalousie. De cette façon, les cartes de l'ALeCMan peuvent parfaitement être reliées à celles de l'ALEA et de l'ALEANR. Nous avançons ainsi dans la réalisation d'un grand atlas national intégré par les atlas de petite portée.
L'intérêt de l'ALeCMan réside également sur la nature du territoire qu'il prétend étudier. Comme il a déjà été dit, Castilla-La Mancha est une Communauté autonome située au centre de la Péninsule ibérique et formée par les provinces de Guadalajara, Tolède, Cuenca, Ciudad Real et Albacete (carte 2). Elle occupe une surface de 79 226 km2 et elle a une population de 1 628 000 habitants. La région de Castilla-La Mancha est entourée par d'autres communautés à grand intérêt linguistique : au sud, l'Andalousie ; à l'ouest, l'Estrémadure ; au nord, Madrid et Castilla-León ; au nord-est, l'Aragon ; à l'est, Valence ; au sud-est, Murcie (voir carte 3). Il s'agit par conséquent d'une zone de nombreuses transitions, de frontières entre variétés parfois bien éloignées, de forces linguistiques qui évoluent du nord au sud, de l'est à l'ouest. Il en a été ainsi depuis le Moyen Age jusqu'à nos jours.
Le fait même d'avoir une frontière naturelle avec des régions si différentes provoque dans Castilla-La Mancha une hétérogénéité dans sa géographie, dans ses façons de vivre, dans son économie et dans ses usages linguistiques. La région est formée par de nombreuses contrées, dont certaines sont très différentes des autres. Une grande plaine occupe le centre du territoire (La Mancha) et plusieurs chaînes de montagnes entourent la communauté marquant ses limites naturelles. A l'intérieur, on peut identifier les traits linguistiques andalous, aragonais, murciens, valenciens, castillans et de l'Estrémadure.


Les points d'enquête

Parmi les différentes possibilités qui existent pour tracer le réseau de l'enquête, l'ALeCMan poursuit la tradition, bien productive, des atlas régionaux, en choisissant les points selon la densité des localités. On nuance cette densité en la rapportant à l'« aire de domination » socio-économique et culturelle, qui ne correspond pas obligatoirement à une province mais plutôt à une contrée qui dépend d'une localité principale.
Le réseau est composé de 161 points, 1 pour toutes les 5 localités, 1 pour tous les 10 112 habitants et 1 pour tous les 492 km2 (9).
Au moment de faire la sélection des points, on a evité ceux de l'ALEP (10), compte tenu du fait que l'addition des enquêtes enrichit les possibilités d'étude de la zone. La numérotation, par conséquent, est complémentaire de celle de l'ALEP. Dans certains cas - capitales de province, par exemple -, la répétition était inévitable, comme c'est le cas des dix localités où notre réseau coïncide avec celui de l'ALPI (11).


Méthodologie

L’intérêt fondamental de l’AleCMan est de reprendre la variation linguistique dans son domaine, avec un large questionnaire permettant de collecter des données de zones qui n’ont pas encore été étudiées de la sorte.
Après avoir réalisé les enquêtes d’essai avec un questionnaire provisoire de plus de trois mille questions (la partie phonétique était en outre répétée avec une informatrice), il a fallu reconsidérer la méthode. En effet, peu d’informateurs étaient disposés à collaborer deux jours de suite et les frais se multipliaient avec peu de résultats : la solution était donc de diviser en deux le questionnaire initial et d’utiliser deux informateurs avec lesquels on ne répétait que les questions de phonétique, morphologie et syntaxe.
Cette solution correspondait davantage à l’intérêt initial de recueillir des renseignements permettant de comparer les réponses des hommes et celles des femmes (12). Le questionnaire I rassemble 1577 questions relatives aux connaissances d’un homme en milieu rural et les 1496 questions du Questionnaire II se limitent à l’expérience quotidienne d’une femme de la campagne. Les deux enquêteurs travaillent en même temps, séparément, chacun avec l’informateur de son propre sexe et, ensemble, nous faisons la transcription des réponses pour la partie phonétique, d’abord de l’homme, puis, de la femme. Au lieu d’y passer deux ou trois jours, on ne reste qu’une journée et demie par localité.
Malgré les limitations de toute enquête à questionnaire, les réponses se succèdent très souvent automatiquement, liées les unes aux autres, sans besoin de questions. Des questionnaires d’illustrations et de photos appuient les parties de la faune et de la flore.
Les enquêteurs posent les questions indirectement, afin d’éviter des réponses induites. La transcription se fait sur place, en utilisant l’alphabet phonétique de la RFE adapté, qui est celui qui a été utilisé dans les autres atlas régionaux (13). On enregistre dans sa totalité la partie consacrée à la phonétique et, quand cela est possible, les explications qui surgissent tout au long de l’enquête, ainsi qu’à la fin des narrations longues, plus ou moins spontanées, dont on obtient des matériaux intéressants pour compléter l’enquête faite à partir d’un questionnaire.
Bien que les capitales de province et deux autres villes soient étudiées – nous le verrons plus loin – en suivant une méthodologie socio-linguistique, un petit questionnaire lexical de 761 questions, réduction des deux questionnaires de base, assure les réponses de ces points sur les cartes de lexique (14).
L’enquête est préparée du point de vue ethnographique et peut recevoir tout type de matériaux pouvant être utilisés dans ce sens, de telle façon que de nombreuses réponses seront élargies par l’information se trouvant au bas de la carte. On prête une attention spéciale au recueil d’ethnotextes et aux enregistrements sur l’abattage, sur les habitudes, les croyances, les fêtes, l’artisanat où les cultures locales accomplissent le double objectif de ramasser une information ethnographique et de procurer des « textes » intéressants du point de vue phonétique, morphologique et syntaxique.
Les informateurs sont un homme et une femme nés dans les lieux, y ayant vécu habituellement, ayant de 55 à 65 ans, comprenant l’importance de l’enquête et capables de s’y adapter.
A la fin du travail, une série de questions permet d’étudier les attitudes de ces derniers envers la variété qu’ils parlent, comparée aussi aux autres, ainsi que l’opinion des informateurs sur les différences possibles entre la façon de parler des hommes et celle des femmes.
Dans les cinq capitales de province, à Talavera de la Reina et Puertollano, l’étude será socio-linguistique. Les informateurs sont choisis à partir d’un échantillonnage non probabilistique, sur des quotas proportionnels à la population. Avec eux on réalisé trois types d’entretien: dirigé, semi-dirigé et libre, afin d’obtenir des matériaux de formalité maxima, moyenne et minima.
Dans l’échantillonage initial, on a travaillé avec trois variables sociales : le sexe, l’âge et le niveau d’instruction, auxquelles on a ajouté celle du quartier. L’échantillon représente 1/3 000 de la population, ce qui est suffisant pour un contexte géolinguistique. Ces enquêtes sont enregistrées et transcrites, afin de les utiliser dans l’étude de la phonétique et de la morphosyntaxe. Dans l’AleCMan on apportera les analyses quantitatives des phénomènes de plus grand intérêt socio-linguistique. Le Questionnaire lexical réduit est réalisé avec la moitié des informateurs et suppose un lien avec les localités rurales.


Etat des enquêtes

Parmi les enquêtes socio-linguistiques, celles de la ville de Tolède sont déjà terminées. Le niveau phonétique et phonologique a été analysé dans la thèse doctorale d’Isabel Molina Martos (15). Des travaux semblables sur les matériaux des six autres villes apporteront une connaissance fondamentale du langage urbain de la Communauté de Castilla-La Mancha.
En octobre 1992 ont été achevées les enquêtes dialectales dans les provinces de Tolède, Ciudad Real, Cuenca et Albacete, et celles de Guadalajara se trouvent bien avancées. En 1993, les travaux de recueil de matériaux seront terminés et les travaux d’élaboration seront alors entrepris.

 

Commentaires

En plaçant l’AleCMan entre les atlas d’Andalousie et d’Aragon, nous apportons une information continue, du nord au sud, sur pratiquement toute la moitié orientale du domaine péninsulaire de langue espagnole. Il est de plus en plus urgent de réaliser l’étude géolinguistique de Murcie et de la région de Valence de langue castillane. En tant qu’exemple, nous présentons l’étude de deux cartes lexicales, l’une consacrée à la herrumbre « la rouille » et l’autre à guiñar el ojo « faire un clin d’œil ».

 

La herrumbre

La herrumbre « rouille » est une crasse rouge-brun qui se forme sur les métaux exposés à l’air et à l’eau, ce qui reste sur les doigts quand on touche un métal oxydé. Dans le domaine oriental de l’espagnol péninsulaire, la herrumbre est appelée avec certaines désignations majoritaires: óxido (dérivé du grec o ís « aigu » ), roña (*RONEA, en rapport avec ARANEA « herpès », avec ROBIGO, -INIS « rouille » ou bien avec AERUGO, -INIS « rouille » ), robín ( <ROBIGO, INIS « rouille » (16)), sarro (dérivé de SARNA), orín (<AURIGO, -INIS « rouille du blé »), moho y herrumbre (<FERRUMEN, -INIS). Bien d’autres formes ont été recueillies, mais elles ne forment pas, d’habitude, une aire lexicale (cardenete, cascarilla, caspa, hollín, pelusa, broza, etc.).
Pour l’Aragon, la Navarre et La Rioja, nous avons la carte nº 1266 de l’ALEANR. Au nord de la Navarre roña est le terme qui prédomine, devant certaines désignations minoritaires et avec les formes d’origine basque : herdolla, herdolle, herdoya. Au sud, le terme óxido est plus généralisé. Il est accompagné dans de nombreux points par sarro.
En Aragon, les termes habituels pour la rouille sont robín (et la variante rubín), roña et óxido. La forme catalane revoll (ainsi que d’autres variantes frontalières) sont distribuées tout au long de la ligne catalano-aragonaise. Dans les provinces de Huesca et de Teruel, la variante la plus utilisée est robín ou rubín: elle occupe toute la province de Huesca, sauf la frange orientale (dont nous avons déjà parlé) et une partie de la zone plus occidentale où roña est accompagnée de óxido; elle est également distribuée dans toute la province de Teruel, sauf dans les points situés plus au nord (on y trouve roña, sarro et óxido) et sur la frontière. Dans la province de Saragosse on trouve óxido et roña.
En résumé, l’ALEANR montre la prédominance de revoll le long de la frontière avec le catalan et de robín dans la plus grande partie de Huesca et de Teruel. Dans la partie nord de la Navarre et de Saragosse on retrouve roña, qui est accompagnée de óxido dans la partie occidentale de la région. Dans La Rioja, óxido et sarro cohabitent.
D’après la carte nº 980 de l’ALEA, la distributions des dénominations de la rouille en Andalousie est très intéressante. Dans le centre de la région, c’est la forme d’origine expressive moho [móho] qui prédomine. A l’ouest, on trouve des variantes qui montrent une influence du portugais ferrugem ; à l’est, ce sont les variantes de robín qui prédominent. Par ailleurs, on observe une petite aire de orín au nord de Cordoue et de Séville ainsi qu’une zone, encore plus petite, de sarro, au sud-est de Grenade.
On trouve donc trois grandes aires en Andalousie: A l’ouest, ce sont les variantes de herruhe qui prédominent; dans le centre, moho est le plus étendu; à l’est, robín et ses variantes. Quant à óxido, il n’est documenté que dans des points isolés.
En reliant la carte de l'ALeCMan avec celles de l'Andalousie et de l'Aragon (voir carte 4) on peut parfaitement remarquer que la partie est de la région forme une zone de continuité entre les terres de l'Aragon oriental et celles de l'est de l'Andalousie. La dénomination robín se trouve ainsi dans toute la partie orientale de la péninsule ibérique, de Huesca et Teruel à Almería, en passant par la moitié orientale des provinces de Cuenca et d'Albacete. C'est encore une démonstration du lien historique qui a existé entre les différents territoires de l'est de la péninsule depuis la Reconquête et, surtout, depuis le Repeuplement, pendant toute la période médiévale.
La dénomination de la rouille la plus étendue en Castilla-La Mancha est óxido. Cependant, il convient de remarquer comment cette variété onomasiologique pénètre en Andalousie. Dans la géolinguistique espagnole, il est facile de rencontrer des phénomènes qui se distribuent du nord au sud, le long de presque toute la Péninsule. Dans le cas de óxido, les frontières administratives et géographiques de l'Andalousie servent également de limite linguistique.
En Castilla-La Mancha, il y a quelques petites aires qui méritent un commentaire. Deux d'entre elles correspondent à orín : la première élargit vers le nord une zone de Cordoue et de Séville ; la deuxième est localisée à la frontière entre le sud-ouest de Tolède et l'Estrémadure. La disposition de ces petites aires nous permet de penser que la désignation orín (et ses variantes) doit se trouver dans d'autres points d'Estrémadure. Il en va de même pour certaines formes en rapport avec (ou dérivées de) herrumbre, localisées dans certains points de l'ouest de Tolède et de Ciudad Real.
L'extension et la distribution de óxido, qui alterne même avec des termes qui prédominent sur d'autres territoires, fait supposer qu'il peut s'imposer sur des mots comme sarro ou orín puisque ces derniers, tout en ayant une distribution très limitée, ou bien sont utilisés dans d'autres acceptions (par exemple, sarro « substance qui adhère à l'émail des dents ») ou bien ils peuvent se confondre avec d'autres formes (orín/ orina).
Les cartes qui ont été commentées montrent que Castilla-La Mancha est un territoire clairement castillan, dans lequel pénètrent les isoglosses de phénomènes orientaux. La limite avec les parlers andalous est encore plus claire dans la moitié occidentale de la région. A l'ouest, on peut remarquer la présence de traits en rapport avec des usages habituels en Estrémadure.

 

Guiñar

L'étude conjointe des cartes que l'ALEANR, l'ALEA et l'ALeCMan consacrent à « faire un clin d'œil » sert à illustrer la continuité, souvent supposée mais difficile à démontrer jusqu'à présent par des données, d'aires lexicales depuis l'Aragon jusqu'en Andalousie.
En commençant par le nord, l'ALEANR (carte nº 946) documente le domaine de guiñar dans La Rioja, avec certains cas de cucar qui pénètrent par l'est et qui alternent avec la forme principale, ou avec ceñal, forme secondaire. La Navarre offre guiñar à sa frontière avec le Pays Basque, tandis que dans le reste de la province on dit cucar ou on alterne les deux formes. Dans une toute petite zone, cependant, on trouve cuquiar. A Huesca, c'est guiñar qui prédomine, mais on trouve cluquiar, clucar et cucar au centre et à l'ouest de la province. Saragosse et Teruel répondent presque à l'unanimité cucar, mais guiñar envahit, en tant que deuxième réponse, les aires de cucar et vice versa.
En Andalousie, sur l’ALEA (carte nº 1197), on retrouve les réponses à la même question : on est surpris par l’uniformité de guiñar, bien que dans le nord-ouest on voit des cas de enguiñar et, sur la côte d’Almería, de entornar. Mais cucar, cucar el ojo pénètrent par le nord-est dans Jaén et dans Grenade et apparaissent deux fois à Almería, dessinant une carte bien connue dans les aires lexicales andalouses, celle que dessinent d’habitude les « aragonesismos ».
Si l’on place entre ces deux cartes celle qui résulte des matériaux de la question 1588 de l’AleCMan (voir carte 5), deux grandes aires se succèdent en Castilla-La Mancha : l’aire occidentale de guiñar (avec ses variantes gueñir et enguiñar), occidentale, et celle de cucar, clairement orientale. Les provinces de Cuenca et d’Albacete ainsi qu’une partie de celle de Guadalajara, relient leurs réponses à celles de Saragosse et de Teruel jusqu’au nord-est de l’Andalousie. De leur côté, Tolède et Ciudad Real maintiennent en général guiñar, interrompu seulement dans un coin par cucar qui pénètre dans le sud de Ciudad Real.
Ni le DRAE (17), ni María Moliner (18), ni d’autres dictionnaires spécialisés n’accordent à aucune des deux désignations une localisation géographique concrète mais, comme nous l’avons bien vu, elle est bien délimitée. Leur origine est difficile à trouver : d’après Corominas et Pascual, l’origine de guiñar est inconnue; cucar semble être une forme expressive et les mêmes auteurs signalent sa probable appartenance originaire au vocabulaire des enfants si proche, par ailleurs, du monde des gestes. De toute façon, guiñar s’étend comme un mot castillan et cucar semble avoir une « géographie aragonaise ». En fait, guiñar apparaît d’habitude en dehors de son aire dans des situations de formalité, car les sujets parlants le considèrent comme un terme normatif.
La carte finale contribue à souligner le rapport historique, qui a influencé la langue, existant entre les territoires de la moitié orientale de la Péninsule, du nord au sud : des gens d’origine aragonaise, en repeuplant la région, auraient établi les bases des aires actuelles. Castilla-La Mancha rassemble des terres castillanes d’influences très différentes : les orientales, continuatrices de la présence aragonaise qui pénètre, parfois, dans le nord-est de l’Andalousie, et les occidentales, plus castillanes mais avec certaines avancées de l’Estrémadure. L’AleCMan sera donc une pièce fondamentale parmi les atlas régionaux déjà publiés.


NOTAS

1. M. Alvar. Granada, CSIC, 1961-1973. Afin de ne pas reprendre des références bien connues, nous n'apporterons que celles des atlas espagnols les plus récents.


2. M. Alvar. Madrid, La Muralla, 1979-1973 (Institución Fernando el Católico, CSIC).


3. M. Alvar. Las Palmas, Excmo. Cabildo Insular de Gran Canaria, 1975-1978.

4. Cuestionario, Madrid, CSIC, 1974.


5. C. García et A. Santamarina (dir.). Atlas Lingüístico Galego, La Coruña, Fundación «Pedro Barrié de la Maza», 1990 (Vol. I. Morfoloxía verbal, red. par F. Fernández Rei).


6. A. Badía, G. Colón, M. Companys et J. Veny, «Atlas lingüístic del domini català», Boletim de Filologia, XX, 1-2 (1961-1962), p. 121-126.


7. M. Alvar. Madrid, Arco/Libros, 1986-1989.

8. M. Alvar, «Proyecto de un atlas lingüístico de Hispanoamérica», Cuadernos Hispanoamericanos, 409 (1984), p. 53-68.


9. Densité suffisante, à notre avis, pour la zone : un peu plus élevée que celle de l'ALEA et proche de celle de l'ALEANR. De toutes façons, en enquêtant auprès de deux informateurs par point, la proportion réelle par habitant se réduit de moitié. On peut trouver des renseignements complémentaires sur les pourcentages dans «El Atlas Lingüístico y Etnográfico de Castilla-La Mancha. Materiales fonéticos de Ciudad Real y Toledo» dans le prochain numéro de la revue Lingüística Española Actual. Pour le développement du travail, cf. «Proyecto de un Atlas Lingüístico y Etnográfico de Castilla-La Mancha (ALeCMan)» in Actas del I Congreso Internacional de Historia de la Lengua Española, II, éd. par M. Ariza, A. Salvador et A. Viudas, Madrid, Arco Libros, 1988, p. 1462-1480.


10. L'enquête est répétée dans les capitales de province qui vont, d'autre part, avoir un autre type d'enquête dans l'ALeCMan. Dans d'autres points, la justification est dérivée de leur situation géographique : La Iglesuela (To 100), Molina de Aragón (Gu 401) et Talavera de la Reina (To 301).


11. Higueruela, Alcolea de Calatrava, Fuencaliente, Cardenete, Galve de Sorbe, La Toba, Cebolla, Navahermosa, Sevilleja de la Jara et Los Yébenes.


12. P. García Mouton et F. Moreno Fernández, Atlas Lingüístico y Etnográfico de Castilla-La Mancha, Cuestionario I y Cuestionario II. Madrid, 1988, 115 et 107 p. respectivement. Pour l’élaboration des questionnaires, cf. P. II-X in Cuestionario I.


13. L’alphabet de la RFE est utilisé pour une question de cohérence méthodologique : il s’agit, sans aucun doute, du plus approprié pour transcrire l’espagnol d’Espagne et d’Amérique ; il a été utilisé dans les atlas régionaux et, auparavant, dans l’ALPI (Atlas Lingüístico de la Península Ibérica, I., Fonética, Madrid, CSIC, 1962) et il est facilement lisible par ceux qui travaillent avec d’autres conventions réprésentatives. Les enquêteurs sont P. García Mouton et F. Moreno Fernández ; I. Molina Martos a parfois participé pour les questions de morphologie verbale.


14. Atlas Lingüístico (y etnográfico) de Castilla-La Mancha. Cuestionario reducido (Léxico), Madrid, 1989, 43 p.


15. I. Molina a refait l’échantillon pour son travail en doublant le nombre des informateurs.
Dans les enquêtes de Tolède ont participé :
-Formalité maximale, P. Martín Butragueño ;
-Formalité moyenne, F. Moreno Fernández ;
- Formalité minimale, I. Molina Martos ;
- Enquête lexicale, P. García Mouton.


16. J. Corominas et J.A. Pascual, Diccionario Crítico Etimológico Castellano e Hispánico, Madrid, Gredos, 1980.


17. Real Academia Española, Diccionario de la Lengua Española, 21ea éd., Madrid, Espasa-Calpe, 1992.


18. Diccionario de uso del español, Madrid, Gredos, 1983.